par Alain Legaret
En 2024, l’Espagne reconnaît un État palestinien et condamne Israël pour sa présence en Judée-Samarie et à Jérusalem-Est. Elle exige le retrait des Juifs de leurs terres ancestrales, la fin des "colonies", et la création d’un État arabe avec Jérusalem-Est pour capitale. Cette posture diplomatique, présentée comme morale, est en réalité une démonstration d’amnésie historique et d’hypocrisie politique.
Car ce que l’Espagne interdit aux Juifs aujourd’hui, elle l’a elle-même accompli, et avec une radicalité que l’Histoire n’a jamais oubliée. Pendant plus de sept siècles, des familles musulmanes venues du Maghreb, du Moyen-Orient et d’Andalousie orientale étaient installées durablement dans la péninsule Ibérique. Elles n’étaient pas de passage, mais elles étaient solidement implantées. Elles ont fondé des villes, cultivé des terres, élevé des enfants, transmis des savoirs. Elles ont créé une société développée, cosmopolite, où Juifs, Chrétiens mozarabes et Musulmans coexistaient. Cordoue, Séville, Grenade furent des phares de culture, de science et de raffinement.
La Reconquista espagnole ne s’est pas limitée à des batailles entre armées. Elle s’est soldée par une épuration sociale, religieuse et culturelle d’une ampleur systématique. Ce ne sont pas seulement des soldats musulmans qui ont été vaincus : ce sont des familles entières, installées depuis des générations, qui ont été chassées, spoliées, traquées, puis effacées de la mémoire officielle.
Après la chute de Grenade en 1492, les Rois Catholiques avaient promis, par le traité de Grenade, de respecter les droits des Musulmans. Cette promesse fut rapidement trahie. Dès 1502, les Musulmans furent contraints de se convertir ou de quitter le territoire. Ceux qui restèrent, les Morisques, furent surveillés, suspectés, humiliés. Et entre 1609 et 1614, ils furent expulsés en masse par décret royal.
Mais ce n’était pas une simple expulsion administrative. C’était une confiscation organisée : Leurs maisons furent saisies, redistribuées ou revendues. Leurs terres agricoles furent annexées par la noblesse chrétienne. Leurs biens mobiliers, outils, bétail, objets personnels, furent pillés ou réquisitionnés. Les mosquées furent transformées en églises, les bibliothèques brûlées, la langue arabe interdite.
La Reconquista ne fut pas seulement une reconquête militaire. Elle fut une purge sociale, une expropriation massive, une violence d’État contre des populations civiles. Et cette réalité historique rend d’autant plus injuste et incohérente la posture actuelle de l’Espagne lorsqu’elle condamne les Juifs pour leur présence sur leurs terres juives historiques dont la Judée-Samarie.
Et pourtant Israël n’a pas expulsé les Arabes, n’a pas interdit l’islam, n’a pas effacé la culture arabe. Il y a même 20% d'Arabes en Israël qui pratiquent librement leur culte, tout ce que l’Espagne n’a jamais offert à Al-Andalus.
L’indignation espagnole n’est donc pas une posture morale. C’est une farce historique. L’Espagne s’est permise de chasser, confisquer, effacer, et elle ose critiquer et condamner aujourd’hui les Juifs. Elle glorifie sa propre reconquête tout en criminalisant celle des autres.
D'ailleurs, l’Espagne n’a pas proposé un État arabe sur son sol. Elle n’a pas suggéré que Madrid-Est devienne la capitale d’un État islamique. Elle n’a pas négocié une coexistence. Elle a imposé l’unité par la disparition de l’autre.
Pourquoi les colons musulmans installés sur la terre d'Israël auraient-ils des droits que ne méritaient pas les colons musulmans installés en terre d'Espagne ?
L’histoire exige de la cohérence. La mémoire exige de l’honnêteté. Et la politique étrangère ne peut pas être fondée sur une morale à géométrie variable. Si l’Espagne veut parler de justice, qu’elle commence par se souvenir de sa propre histoire. Qu’elle admette qu’elle n’a jamais toléré un État musulman sur son sol comme elle l'exige d'Israël, et qu’elle a effacé une civilisation entière de colons musulmans installées pourtant en Espagne depuis plusieurs siècles. Et qu’elle cesse de donner des leçons à un seul peuple au monde : le peuple juif.
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