jeudi 6 mai 2010

Appel à la raison aux signataires de Jcall

par Patrick Ravaisson

Vous êtes pour la plupart des intellectuels juifs intègres, plus ou moins sionistes, voire pas du tout. Plus ou moins célèbres. Plus ou moins attachés à la cause palestinienne plus qu’à Israël. Vous êtes autant de personnalités diverses à plus d’un titre. Toute critique ou reproche à votre égard doit donc se faire « ad hominem ».

Pourtant, un trait commun vous rassemble : vous êtes tous de gauche, vous vous revendiquez de gauche, vous votez à gauche. Communistes, socialistes, Verts, gauchistes, anciens ou nouveaux, cette « sensibilité » de gauche vous réunit en cette occasion, peut-être plus encore que votre attachement à Israël. Vous communiez dans cette vieille tradition de « conscience morale » héritée de l’opposition à la guerre d’Algérie et du « soutien critique » à l’Union soviétique.

Sauf que la gauche n’est plus ce qu’elle était, et vous le savez bien. Si la gauche fut largement aux côtés des Juifs contre le nazisme, si la gauche de Mendes-France fut un soutien indéfectible d’Israël, depuis la fin des années 60, la gauche a dérivé de l’autre côté. A l’extérieur, le soutien a glissé au profit des Palestiniens d’Arafat, s’accompagnant d’une violente critique d’un Israël présenté comme « colonialiste et raciste ». Bien sûr, des exceptions existent à gauche, mais pour la masse des militants il suffit d’avoir vu les manifestations populaires se garnir de keffiehs jusqu’à accueillir les banderoles du Hamas dans ses rangs. A l’intérieur, la gauche a choisi de nouvelles victimes privilégiées à défendre avec l’immigration musulmane, refusant de voir la montée d’un violent antisémitisme dans cette même communauté musulmane. Sous le fallacieux prétexte qu’une victime du racisme ne saurait être elle-même raciste. C’est ainsi que la gauche des banlieues a laissé faire une véritable épuration ethnique, en particulier dans les écoles publiques vidées des élèves juifs chassés par la violence de leurs camarades immigrés. La gauche a lâchement cautionné les « territoires perdus de la République » pour ne pas stigmatiser l’immigration musulmane.

La gauche est en échec. En Israël, « La paix maintenant » et le parti travailliste sont plus faibles que jamais, victimes de leur naïveté politique. En France, l’électorat juif a silencieusement déserté la gauche. Car le Juif, même religieux, n’est pas totalement dénué de raison. Il a bien vu qu’en Europe, aujourd’hui, les soutiens visibles d’Israël, les adversaires actifs de l’antisémitisme, ne sont pas les trop discrets leaders de gauche, mais les Sarkozy, Berlusconi, Merkel, et même le très-catholique président polonais, hélas disparu. Ces noms écorchent sans doute la bonne conscience de gauche qui crie à l’imposture. Mais les faits sont là, et les Juifs, de façon très basique, préfèrent juger aux actes plutôt qu’aux déclarations d’intentions et aux beaux discours.

Donc, oui, majoritairement, les Juifs de France sont passés à droite. Non comme des faibles d’esprit sensibles aux sirènes du Likoud, mais pleinement lucides sur la triste trahison de la gauche. Et l’on devine que c’est ce qui menace aujourd’hui les Etats-Unis : si les Juifs américains prennent leurs distances avec le parti démocrate, ce n’est pas à cause d’un soudain abrutissement sioniste, mais à cause des faiblesses d’Obama envers le monde musulman et de ses pressions unilatérales sur Israël.

Alors vous, derniers intellectuels de gauche, levés dans un sursaut résiduel, portés à bout de bras par « Le Monde », le « Nouvel Obs », « Libération » et le parlement européen, ce n’est pas Israël que vous tentez de sauver, mais bien une gauche moribonde, ridicule dans sa grandiloquence morale. Votre appel n’aura aucun écho en Israël ; tout au plus, il crispera un peu plus les Israéliens dans un repli nationaliste contre les ingérences de prétendus amis qui hurlent avec les loups aux moments critiques.

Alors, s’il doit y avoir appel à la raison, c’est plutôt pour sauver la gauche de ses démons qu’il faudrait lancer. Et cesser de faire la morale à la démocratie israélienne, parce qu’on se sait impuissant devant ceux qui veulent la détruire.



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