mardi 25 août 2009

Conte d'été

par Alain Legaret


Marianne, c’est son nom, était une fille gaie et spontanée. Elle aimait profiter de la vie plus que tout, et passait son temps à s’amuser.

Elle fut mariée une première fois. De cette union est né un fils, David, dont elle avait la garde.

Après son divorce, elle traversa une période très difficile. Elle était atteinte de dépression, et la souffrance envahissait son quotidien. Son voisin Helmut profita de la situation pour abuser d’elle, lui dérobant ses biens, son identité et dénaturant jusqu’à son âme.

Marianne avait un oncle dénommé Samuel, que tout le monde appelait Sam. Quand il fut alerté des malheurs de sa nièce, il accourut pour lui porter secours. Il la débarrassa de l’encombrant Helmut et lui fournit l’aide nécessaire pour la remettre sur pied.

La sachant blessée et fragile, Sam accepta de la décharger de tous les problèmes afin de lui permettre de mener une existence sereine. Petit à petit, Marianne reprit goût à la vie.

Elle était même devenue une maman modèle, elle qui se sentait quelque peu coupable de s’être laissé aller dans les bras d’Helmut, au su et au vu de son fils David.
Il en avait beaucoup souffert. Désormais, elle l’entourait d’amour et très vite, les rires de son enfant se mêlaient aux siens. Elle réalisait enfin son rêve, celui d’habiter la maison du bonheur.

L’oncle Sam s’occupant de tout, elle pouvait vivre sans trop se poser de questions. Elle avait un travail, partait l’été en vacances, et menait une existence simple et légère. Elle ne voulait plus d’ennuis, plus de conflits et elle le faisait savoir autour d’elle. Quand quelqu’un l’abordait dans la rue, elle répondait par un sourire. C’est ainsi qu’elle fit la connaissance de Momo.

Un soir, Momo sonna à sa porte. Il avait l’air mal en point, et lui demanda l’hospitalité pour une ou deux nuits. Marianne lui ouvrit sa maison.

Momo s’installa dans le salon. Il dormit sur le canapé. Rapidement les nuits se transformèrent en semaines, puis en mois. Le salon devint officiellement la chambre de Momo. Marianne lui dégagea deux étagères pour qu’il puisse ranger ses affaires, et dans la salle de bains, il y avait dorénavant trois brosses à dents.

Pendant la journée, Marianne était absente, occupée à gagner de quoi faire vivre tout ce petit monde. Momo, qui avait beaucoup de mal à trouver du travail, passait le plus clair de son temps à la maison. Pour se remonter le moral, il parlait de longues heures au téléphone avec sa famille.

Les jeux de David l’agaçaient. Il trouvait l’enfant fatiguant.
Il en parla à Marianne qui lui promit que son fils se ferait à l’avenir plus discret.

L’oncle Sam qui prenait régulièrement des nouvelles de sa nièce, s’inquiéta de cette cohabitation inattendue. Il savait la propension de Marianne à se mettre dans des situations délicates et les pleurs de David résonnaient à son oreille comme autant d'avertissements. Sam se souvenait d’Helmut et ce souvenir le mettait mal à l’aise.

Marianne, toujours avide de nouvelles expériences pour tuer son ennui, fit comprendre à son oncle qu’il n’avait pas à se mêler de sa vie. C’était une grande fille maintenant, et elle n’avait de conseil à recevoir de personne. D’ailleurs Momo avait certainement raison quand il dénonçait l’emprise que Sam avait sur sa nièce.

Evidemment, ce qui devait arriver, arriva. Un jour, Momo quitta le salon pour rejoindre Marianne dans la chambre à coucher. Ils se marièrent et plusieurs enfants naquirent de ce lit.

Bien qu’étant l’aîné, David se mit à subir régulièrement les assauts de ses demi-frères. Il en parla maintes fois à sa mère et à son beau-père qui restaient indifférents : « si tu te fais frapper, c’est sûrement que tu l’as mérité, non ? » Telle était leur réponse.

En fait, Marianne n’osait plus rien dire. Elle commençait à avoir peur de Momo qui la battait.
Bien sur, elle n’en parlait à personne. Elle obéissait aux ordres de son mari en faisant croire que ses faits et gestes étaient le fruit de ses propres décisions. Elle avait sa fierté tout de même !

Et puis, quand elle entendait des récits de violence inouïe dont étaient capables certains membres de la famille de Momo, elle s’estimait contente des taloches que lui assenait son mari. D’ailleurs, quand elle était désagréable, Momo lui disait qu’il allait faire venir ses frères pour qu’ils s’occupent d’elle. Ca le faisait beaucoup rire.

Marianne avait peur de l’affronter et pensait qu’il finirait par avoir pitié d’elle.

Un jour que l’oncle Sam lui rendit visite à l’improviste, il fit remarquer à sa nièce les bleus qu’elle portait sur le visage et sur les bras. Marianne, vexée, le renvoya avec fracas. Elle, qui souhaitait plus que tout au monde que sa maison soit celle du bonheur, ne voulait accepter de voir son rêve brisé. Elle s'était résignée à vivre dans le mensonge car la vérité lui était trop douloureuse.

David, quant à lui, décida de quitter le foyer devenu un enfer. Il se partageait maintenant tantôt chez son père, tantôt chez son oncle.

Marianne vivait désormais avec Momo et ses enfants. Mais elle pleurait tous les soirs en cachette.

Elle se souvenait de sa vie avec David. Elle revoyait son petit, tout sourire dans son lit quand elle allait l’embrasser, tandis qu’il lui glissait à l’oreille « bonne nuit maman. Je t’aime tu sais ».
Elle savait désormais que son fils avait sa vie loin d’elle et qu’il était hors de question pour lui de revenir.

Un soir de grande déprime, Marianne alla se réfugier chez son voisin Helmut. Elle lui raconta ses malheurs et Helmut lui fut d’un grand réconfort.

Momo, prévenu par ses enfants, s’arma d’un couteau et surgit en furie chez son voisin. Il les tua tous les deux.

On enterra Marianne dans le cimetière municipal.

L’oncle Sam fut très affecté par la disparition de sa nièce. Certaines rumeurs rapportent même que la sœur de Momo serait auprès de lui pour le consoler.

David s’est installé définitivement chez son père. Il pleure toujours sa mère. Il réalise qu’il aurait certainement connu le même sort s’il était resté près d’elle.

Quant à Momo, il rencontra quelques temps plus tard une fille venue de son village. Ils se marièrent, et eurent beaucoup d’enfants.

Aujourd’hui, ils vivent heureux dans la maison du bonheur.



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